Napa, nous voilà. Après la Barossa Valley en Australie, et la Vale Central au Chili, nous voici cette fois-ci en Californie, dans une des régions viticoles les plus connues du monde. Il faut dire que les vins californiens ont envahi le marché il y a une vingtaine d'années, et ont ouvert la voie à tous les vins dits "du nouveau monde". Avec le climat de l'Etat de Californie, mais aussi le marché du vin autrefois uniquement aux mains des européens, et la capacité des américains à créer, innover, et gagner de l'argent, l'équation était tentante. C'est donc enthousiastes, curieux, et contents, que nous allons aujourd'hui nous promener dans les vignobles et les "wineries" du coin. Tiens, premier constat, tout le monde ici travaille presque exclusivement le Cabernet Sauvignon. Il y a bien aussi un peu de Chardonnay, et un peu de Merlot, mais ce sont des exceptions. On va chercher, mais nous n'arriverons pas à comprendre pourquoi ce cépage est si dominant ici. Une volonté initiale, quand les premiers viticulteurs - pardons, "winemaker" - ont tenté de concurrencer les plus prestigieux bordeaux sur leurs terrains? Oui. En tous cas, le soleil méditerrannéen, le relief, la géologie du terrain, et peut-être la technologie, ont permis de faire des vins presque aussi bien classés aujourd'hui que nos meilleurs crus, en tous cas d'après les guides et de l'avis des critiques.
La Napa Valley est un bout de terre, une sorte de bras qui s'enfonce entre deux hautes collines, formant une vallée, à une cinquantaine de kilomètres au Nord de San Francisco. Une route à double-sens traverse la plupart des domaines viticoles, bien que d'autres soient accessibles en s'écartant un peu de ces quelques kilomètres, qui regroupent diverses propriétés, la plupart produisant des raisin pour d'autres, et n'ayant pas d'infrastructures pour faire leur vin. Ici, pas de chateaux ou d'hotels particuliers, mais des batisses en bois, parfois en pierre, qui manquent un peu de charme, et tentent de recréer cette atmosphère qui est si familière à Bordeaux ou en Bourgogne. Et, à la différence des petites routes qui serpentent chez nous, obligeant à chercher, ici, les vignobles longent la route unique, droite sur plusieurs kilomètres, tous installés de chaque côté. Certaines propriétés ont une entrée royale, luxueuse, un peu clinquante, très propre, neuve, et d'autres une plus simple. Question de style, de moyen, et d'image. Nous sommes à une centaine de mètres d'altitude, coincés entre une zone géologique faite d'anciennes cendres volcaniques, et une autre autrefois abreuvée par des sédiments marins. Nous sommes fin septembre, il fait très beau et chaud, et comme en France, c'est l'époque des vendanges. On produit des vins de type Bordeaux. Nous sommes à St Helena, au coeur de la Napa, dans la zone la plus prestigieuse de la Vallée. Nous sommes passés hier par la Sonoma Valley, bordant la Highway 12, une zone abritant 70 vignobles, de moindre qualité, mais aux relations plus détendues, moins commerciales, plus authentiques. Il aurait fallu un jour de plus, que nous n'avons pas pris, pour la visiter véritablement.
L'histoire du vin dans la Napa remonte au 19ième siècle. Pas si jeunes finalement, ces plants. C'est cependant oublier que la région est revenue à la case départ à cause de la Grande Depression d'une part, et de la Prohibition d'autre part. Bien que quelques vignobles produisaient alors du vin pour l'Eglise, la quasi-totalité de la production et des vignes furent abandonnées pendant plusieurs années. C'est après la seconde Guerre Mondiale que la région renait de ces cendres, et sous l'impulsion de Robert Mondavi - qui pratiqua un marketing agressif, innova dans la fabrication et le vinification de ses vins, et réussit à fédérer les producteurs de l'époque - que la Napa acquit progressivement une réputation internationale et prospera de nouveau. Bien que décrié, et parfois plus intéressé par l'entreprise, la conquête du marché, que par la bouteille et l'expression du terroir, Robert Mondavi est clairement une grande figure de la Napa. Le film-documentaire Mondovino ne lui rend pas hommage, mais permet de cerner une forme d'état d'esprit que nous avons un peu ressentie pendant notre balade. Il était en tous cas impensable de ne pas visiter le vignoble de cet icone du vin californien, même si nous ne partageons pas la philosophie du domaine, qui n'appartient d'ailleurs plus à son créateur depuis son rachat par une grande société de spiritueux, concurrent de Pernod Ricard, en 2004. Une information qui n'est mentionnée nulle part lors de notre visite, où tout est fait pour entretenir le mythe, sans que personne ne se doute qu'il ne s'en occupe plus du tout.
Nous commençons la journée par une visite chez Corison. Lors d'une conversation sur le vin avec Lorin, aux Galapagos, elle nous avait fortement recommandé d'aller leur rendre visite en comprenant que nous attachons de l'importance à l'expression du terroir, et aux méthodes traditionnelles de vinification. Petit vignole de 4,5 hectares (le minimum autorisé pour pouvoir ouvrir une tasting room, et faire goûter son vin, ainsi que pouvoir construire une infrastructure autour du vignoble), au rendement de 2,5t/hectare, nous retrouvons William et Cathy, les propriétaires, rencontrés rapidement hier soir lors de notre arrivée un peu tardive dans les environs. Ils sont affairés, mais disponibles, puisque l'on est en pleine vendange en ce moment. Nous choisissons la deuxième formule de dégustation, à presque 50 euros par personne, permettant de déguster cinq vins. C'est une somme élevée, mais c'est LE vignoble que nous souhaitons voir, et comprendre. Nous rencontrons Guilan, un homme d'une trentaine d'années, qui s'occupe de nous et d'autres clients. Nous rentrons dans un hangar rempli de barriques, quasiment toutes neuves, ce qui est assez étonnant, puisque les barriques neuves sont connues pour donner un goût assez fort au vin. Certains disent même que l'utilisation de barriques neuves sert à palier le manque de caractère d'un vin ou d'un terroir et que leur utilisation s'apparente à de la chirurgie esthétique. Cela donne quoiqu'il en soit un goût plus vanillé, plus boisé, permet aux bouteilles d'être bues plus rapidement, et ne correspond pas à une façon naturelle de vieillir. Et aujourd'hui, presque tout le monde utilise des barriques neuves, ce qui fait que le goût s'uniformise un peu plus. Nous essaierons de comprendre pourquoi c'est ainsi ici, sans avoir de réponse claire ou concluante. En tous cas, et malheureusement, cela montre qu'il est difficile aujourd'hui de trouver une expression pure d'une région, d'un climat et d'une terre, même en allant chez ceux qui sont réputés pour cela. Il faudra qu'on approfondisse un jour cette question des barriques neuves, après avoir écouté les propos de grandes familles bourguignonnes.
Guilan nous sert un verre de blanc, un Gewurtztraminer 2010. L'odeur est belle, la bouche minérale et acide. Il n'est pas très long, et vaut 30$ la bouteille. Nous sortons, le verre à la main, pour nous approcher des vignes. Les grains sont petits, minuscules, comme à chaque fois avec le Cabernet Sauvignon.
L'histoire de cette propriété a débuté en 1987, quand Cathy a souhaité faire son propre vin après avoir travaillé pour de grands noms, comme Mondavi ou Krug. Ce fut la première femme à faire du vin ici. 2 vins sont produits : le "Napa", association de 3 vignobles différents (dont un à Rutherford, un autre coin de la Napa Valley, juste à côté de St Helena), tous en Cabernet Sauvignon, les proportions du mélange étant gardées secrètes, et le "Kronos", réalisé uniquement avec les grapes des vignes que nous avons devant nous, et dont les bouteilles sont uniquement vendues à la propriété, ou au Wine Club de la maison. Ces wines clubs permettent de créer une relation-privilégiée avec les clients réguliers, et sont capitaux pour le bouche à oreille. Une bonne partie des productions de chaque vignoble est en effet vendue sur place chaque année (parfois 30% de la production). Nous gouterons les deux vins. En dehors de leur propre vin, la famille vinifie aussi pour d'autres personnes. Nous ne saurons pas quelle proportion du chiffre d'affaire cela représente. Les deux vins sont "organic", et aucun pesticide ni produit chimique ne sont utilisés. Seul du "compost", donc de la matière organique, est utilisé comem engrais. Les vignes, dans lesquelles nous nous promenons rapidement (sous ce magnifique soleil et ciel bleu, le verre de blanc toujours à la main), sont très espacées (environ 2,5m), bien plus que dans les autres domaines de la Napa. Le terrain n'était en effet pas très cher dans les années 70, lorsque les vignes ont été plantées. Le taux d'alcool dans les deux vins est volontairement moindre qu'en général dans la Napa, et tourne en gros autour de 13,6%, ce qui est en effet inhabituel pour ici, où l'on cherche à rivaliser avec Bordeaux, et donc à produire des vins assez forts, presque toujours alcoolisés bien au dessus de 14%. Guilan insiste sur le rôle du micro-climat, et de son impact sur les 3 vignobles de la maison. On aime. Il nous parle en revanche un peu moins du sol, malgré une ou deux questions, comme si la notion de terroir n'était presque limitée qu'à la question du climat. Le "crop care" est pratiqué chez Corison, à savoir l'étude scientifique et minéralogique du terrain et du sol par une société extérieure pour évaluer sa richesse, et déterminer par exemple combien il faut d'eau pour optimiser le rendement fixé, ou savoir combien d'hectares seront "premiums". Enfin, les vendanges sont manuelles, et les raisins pourris sont jetés au maximum.
Nous passons ensuite à la dégustation des vins, de retour dans le hangar, en passant à côté de quelques palettes remplies de raisins, et avec quelques personnes autour de Cathy et William en train de séparer les grains de la tige via la petite machine. Une jolie image, authentique, d'une petite exploitation en plein travail. Un joli décor. Dans le hangar, nous nous installons autour d'une petite table. Nous procédons à une dégustation verticale de trois Kronos, le 2003, 2004 et 2005. Guilan nous laisse, et nous nous retrouvons juste tous les deux, avec une feuille présentant les prix des bouteilles. Bizarre. Volonté de laisser déguster tranquillement, personnellement, ou trop occupé avec d'autres clients? Nous ne saurons pas, mais aurions préféré l'avoir sous la main pour lui poser des questions. D'autant qu'il manque de l'eau sur la table pour se rincer la bouche, et une serviette pour s'essuyer. Nous avons du coup l'impression d'être un peu parqués dans un coin, et délaissés. Les trois vins ont des goûts assez différents. Le 2003 est plus soft, moins fort. Les vendanges avaient eu lieu un peu plus tard, vers que les autres années, et le soleil avait chauffé d'un coup, intensément, pendant peu de temps, comme si l'on avait monté le gaz sur le feu pour faire un peu griller la viande. Le 2004 est plus fort, sent plus la terre. Les rendements avaient été faibles cette année (en baisse de persque 50%), la température un peu froide en début d'année, puis parfaite ensuite. Le 2005 est trop boisé à notre goût, plus fort, très présent, différent, large (il vous remplit la bouche d'un coup), à la longueur moyenne. Les vendanges avaient eu lieu un mois plus tard que d'habitude. Les trois vins ont la même couleur, mais pas le même nez. Guilan revient, nous discutons, puis nous laisse terminer notre dégustation. Nous nous amusons à déguster à l'aveugle, en essayant cette fois de reconnaitre lequel appartient à chaque année. Nous réussissons presque. Nous recrachons chaque gorgée, car nous conduisons après. Ces vins valent entre 90 et 105$. Nous sommes surpris par ces prix, élevés. On comprend que le travail manuel requiert plus de temps et de patience, mais cela reste cher. Une question de positionnement? Nous goûtons ensuite les deux "Kronos", dont cette fois-ci les raisins viennent d'un seul et même endroit, celui autour de la maison. Le 2003 est fruité, la première bouche est très présente, ample. Le vin est plus riche, sans être trop agressif. On aime, et nous sentons bien la différence avecles précédents. Maleureusement, Guilan n'est pas là pour répondre à nos questions pour comprendre d'où cela vient. La bouteille vaut 135$. Le 2006, à 120$, est moins dynamique, moins long, un peu plus doux, mais a peut-être un peu plus d'équilibre général. C'est bon. Ces deux vins sont bien distincts des trois précédents, et leurs tanins un peu plus marqués. La couleur reste en revanche la même.
Au final, nous trouvons le prix payé assez cher pour ce que nous avons eu, et le niveau de service. Nous ne regrettons pas, car nous voulions venir ici, et discuter avec des propriétaires travaillant un peu moins scientifiquement que le reste de la Napa, qui cherche semble-t-il (d'après les expressions et les propos de William hier soir en le rencontrant) à plaire aux critiques, et à innover dans les méthodes de vinification. Guilan fut un peu moins présent et attentif quand nous lui avons dit que nous ne prendrions pas de bouteilles. Cathy et William ont toujours été disponibles, simples, et agréables. Avant de partir, nous refaisons un tour dans les vignes, et prenons quelques photos. Nous sommes restés presque deux heures. Il est 12h20.
Nous roulons alors sur la longue route traversant les principales propriétés de St Helena, et de Rutherford. Nous avions découvert hier soir, en cherchant un endroit pour dormir, bien d'autres domaines, un peu excentrés, loin de l'agitation touristique de cette partie de la vallée, qui ont attisé notre curiosité. Peut-être irons-nous leur rendre visite, au hasard, un peu plus tard. En continuant, pour retrouver quelques domaines bien connus, nous nous arrêtons à l'entrée du vignoble de Robert Mondavi, et rentrons bien sûr pour aller voir les lieux. C'est grand, propre, distingué. Une statue un peu bizarre accueille tous les visiteurs, lorsqu'ils cherchent une place pour se garer sur les grands parkings autour de l'entrée. Nous passons sous un grand porche, découvrons une cours gazonnée, autour de laquelle l'accueil, une boutique, un patio, et des zones de dégutation sont agencés.
Une terrasse avec des tables et parasols est à disposition, juste à côté des premières vignes. C'est joli, propre, bien fait, aéré, classe, et cela donne clairement envie de se poser là avec un verre. Bref, le top, même si cela manque un peu de charme, ou de profondeur. D'ailleurs, des gens se baladent, vont et viennent de la boutique à la terrasse, et découvrent les lieux un verre à la main. Première impression : le lieu donne envie d'y passer du temps, car on s'y sent bien. De la musique sort doucement des enceintes discrètes de la chambre de dégustation, ou de la boutique. Vraiment très sympa, surtout avec ce temps beau et chaud.
Les prix sont aussi bien plus abordables. La dégustation de 4 vins et la visite est à 30$. Les bouteilles sont en général bien moins chères également, de 25$ à 200$, avec une bonne moyenne autour de 45$. Nous nous promenons, mais ne goûtons pas, avons très faim, et avons encore pas mal de choses à voir aujourd'hui. Nous restons une heure en tout. Dans la boutique, de jolis livres sur la Napa se mélangent à des objets liés au vin estampillés "Mondavi", ou à des livres de cuisine ou des bouteilles. On regrettera plus tard de n'avoir pas pu déjeuner ici, et aussi de ne pas avoir fait la visite.
Nous faisons un saut de quelques centaines de mètres en voiture pour rejoindre le batiment cylindrique d'Opus One, le vin de Mondavi fait en association avec Rothschild depuis les années 70 (malin à l'époque, pour une famille ambitieuse et entreprenante, tentant de s'imposer dans la région et d'en faire une des plus connues au monde). Un véritable succès commercial, positionné comme un vin "ultra premium", dont le premier nom "napamedoc" (avant 1982), traduit bien la proximité des vins californiens et bordelais. L'idée est d'en faire un vin parfait (mais que cela veut-il dire, et pour qui? Robert Parker?). La vinification a longtemps été dirigée par une association conjointe franco-américaine (Tim Mondavi et Patrick Leon), avant qu'une seule personne ne s'en occupe depuis le rachat du domaine par Constellation Brands en 2004. Ce fut aussi pendant de nombreuses années le vin le plus cher de Californie, avec une bouteille il y a 25 ans qui coutait autour de 50$. Celles de l'année dernière valent trois fois plus. Aujourd'hui, on tente de se passer d'irrigation, chose assez rare, pour cutiver le raisin. Une initiative à suivre dans un Etat aride, ou le problème de l'eau surgira inélluctablement un jour ? Nous ne gouterons malheureusement pas ce vin novateur, moderne, puisqu'il faut débourser 40$ pour un verre. Nous ne pourrons du coup pas monter sur la plate-forme d'observation à l'étage pour regarder les vignobles d'un peu plus haut. Nous serons en tous cas venus, et aurons vu.
Pas facile de trouver un endroit pour manger, encore moins au milieu des vignes. Bizarre quand même. La route est encombrée, et l'attente dans un restaurant pas très loin, qui a l'air très sympa, est de 90 minutes. Nous allons du coup au Visitor Center de la ville, situé sur la route pour aller au American Culinary Institute, une école de cuisine, croisée ce matin. Il y a bien des restaurants étoilés dans la région, ou le French Laundry, où il faut réserver plusieurs mois à l'avance, mais nous préférons rester autour de St Helena, et dépenser aussi un peu moins. La personne qui nous renseigne n'est pas très aimable, et ne nous donne pas trop d'infos. On dirait que nous la gênons, et la dérangeons. Apparemment, il n'est possible nulle part de manger près des vignes, sous un parassol par exemple. Nous croiserons pourtant plus tard un endroit qui le permet, mais nous aurons déjà déjeuné. Nous allons du coup en centre ville, nous asseoir au soleil, dehors, pour manger une salade ou des pâtes faites maison. Il fait chaud. Audrey n'aime pas trop l'impression générale, l'atmosphère qui règne depuis ce matin. Il y a pas mal d'embouteillages, les hotels sont très chers (au moins 250$ la nuit... après reflexion sûrement parce que la grande majorité des visiteurs viennent des environs, de San Francisco, d'où le faible nombre d'hotels, à part de luxe, ces derniers étant réservé aux locaux venant passer un week-end dans une destination un peu chic), les gens sont trop commerciaux, au sourire forcé, pas naturel, il y a peu de restaurants, et globalement, pas assez de choses pour les touristes, qui doivent laisser un bras s'ils souhaitent rester quelques jours, comme pour entretenir une sorte de standing au lieu de rester accessible (les visiteurs sont néanmoins américains, et il y a peu d'étrangers au final). Un feeling compréhensible. C'est vrai que c'est un peu dommage, et que l'on est pour l'instant loin de la relation terrienne que nous avons eue dans les vignobles chiliens, français, et parfois australiens.
Nous partons vers 15h30, et passons devant de nombreux vignobles, plus ou moins connus (Beaulieu, l'un des plus vieux, ou Sutter Home, à la demeure magnifique sous le ciel californien). De la voiture, nous distinguons bien les parois des hautes collines à droite et à gauche. En faisant attention, l'impression est claire d'être dans une petite vallée, comme nous l'avons vu sur une carte en trois dimensions.
Sachant que la plupart des visites se terminent vers 17h, soit dans presque une heure, nous allons visiter Heitz Wine Cellar, un vignoble recommandé ce matin par Corison. La maison est en pierre, protégée par quelques palmiers. L'accueil est agréable, et naturel. Ouf. Bonne nouvelle, la dégustation est gratuite. Voilà qui change. Nous discutons avec la gérante, Kathleen, de cette exploitation familiale depuis deux générations. Le vignoble fait 160 hectares, et produit 480 000 bouteilles par an. Elle nous fait goûter 5 vins : un Chardonnay, un Zinfandel, et 3 Cabernet. Sympa, car seules trois bouteilles étaient sur la table. Fred pose des questions sur les normes liées aux méthodes "organiques et biologiques", et tente de comprendre quel vin la maison tente de produire, sans bien réussir. Il semble que de vieilles barriques soient utilisées. Difficile de prendre des notes en discutant, mais les vins (dont les prix varient de 25 à 45$) nous plaisaient. Elle nous fait même gouter une sorte de Porto, appelé ici "Port", plus alcoolisé bien sûr, bon, parfait pour un dessert ou un apéritif. Nous restons une demi-heure, faisons un tour à l'extérieur, sur la terrasse en pierre recouverte d'une pergola, où nous serions bien restés entre amis à boire une bouteille. Next time.
La journée est presque finie, mais avant de partir, nous découvrons quelques autres domaines. Il y a toujours de la circulation, probablement parce que nous sommes samedi, et que bien des gens doivent rentrer sur San Francisco. Il n'aura pas toujours été facile ou possible de savoir quel est le niveau de mécanisation, de savoir si les vins sont oxygénés ou pas, quels consultants travaillent ou interviennent dans le "wine-making process", si les vins sont faits pour avoir une bonne note ou pas (Corison nous disait que non, mais le 95/100 donné par la revue Decanter California est en première page sur leur site Internet), ce qu'ils pensent de Parker, s'ils travaillent avec Michel Rolland, ce qu'il en est de la durée de maturation, ou bien quels sont les rendements en fonction des vins d'un même vignoble. Probablement parce que les dégustations sont faîtes pour donner un aperçu, et non pour véritablement entrer en détail dans la fabrication du vin, et pour vendre, faire connaitre, bien que - bon point - on cherche à éduquer ou documenter ceux qui viennent ici. Il aurait fallu une soirée avec quelques vignerons du coin, et approfondir tout cela, comprendre la philosophie, les façons de faire différentes, pour ainsi avoir une vue un peu plus complète de la Napa Valley, et être capable de distinguer les types de vins, et les objectifs de chacun. Ou passer deux ou trois autres jours ici, et revenir, même si le flux de visiteurs ne permet pas d'entrer dans une conversation très profonde. En outre, de manière générale, l'impression est que ceux qui travaillent la vigne sont plus des "entrepreneurs du vin" (de manière très cohérente avec la culture américaine, et ses bons côtés) que des paysans vignerons, viscéralement et depuis des générations attachés à leur terre. Nous aurons au moins été voir, sans aujourd'hui être capable de dire en quoi le terroir, ou en tous cas les vins, de la Napa ont leur propre identité et sont différents de ceux de Bordeaux, tant l'histoire des lieux est liée à celle de cette région française, et la puissance de certains critiques est grande. La Napa Valley fait rêver quand on n'y est jamais allé, elle est pourtant géographiquement un peu décevante pour un européen habitué aux notions de patrimoine et de vignobles historiques. Les références à la France sont fréquentes, que ce soit pour justifier des procédés de vinifications, ou dans les étiquettes de certains vins, comme dans les discours entendus. Pour une fois, l'Amérique nous copie, un peu comme pour se donner du poids et de la gravité. Mais contrairement à chez nous, on ne visite pas une winery pour comprendre l'histoire de plusieurs siècles et accéder à un patrimoine, puisque la plupart ont moins de quarante ans. Mais dans cet esprit, les américains viennent chercher un peu de l'Europe de leurs ancêtres, et le raffinement attaché au monde du vin. Question accueil, malgré quelques sourires forcés, contrairement à la France, on ne vous explique pas ici que l'on vous fait un honneur de vous recevoir. Comme souvent aux Etats-Unis, c'est le contraire qui se passe, et l'hôte qui est honoré de la visite d'un client potentiel.
Après avoir visité plusieurs régions viticoles du monde, l'impression nous vient que les vins californiens pourraient être à leur tour menacés par les vins d'Amérique latine, australiens, ou sud-africains. Des vins du nouveau monde ayant peur des vins du nouveau monde? Peut-être. Nous n'en saurons pas beaucoup plus, mais les vins californiens et de la Napa Valley sont les premiers à avoir concurrencé les français. Et aujourd'hui, certaines régions sont en plein développement, alors qu'ici, les choses ont l'air d'être établies, acquises, un peu à l'image de la ville de St Helena d'ailleurs. Un sujet que nous aurions dû aborder, afin de savoir comment cette nouvelle concurrence - pas seulement envers les vins français pour le coup - modifie la donne, et ce que les winemakers locaux en pensent. Cela voudrait aussi dire que les vins californiens sont plus sur la défensive, contrairement aux années 80 et 90. Cela pourrait conduire à une identité un peu plus forte, moins "parkerisée" et moins francisée (Parker adore les vins bordelais, notamment le Pomerol), et la définition d'appellations particulières. Espérons que, quelque soit le lieu, la concurrence fasse du bien à l'industrie du vin, améliore la qualité de la production (même indirectement, et sur le long terme, après peut-être un afflux de vins génériques, et demain peut-être chinois), en phase avec un terroir particulier et local. Quelques chose à suivre en tous cas.
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PAILLARD Jean paul (dimanche, 29 mars 2020 09:38)
Très intéressant ce reportage
on voyage avec vous, on imagine les bâtisses, les ambiances et on a hâte de vous suivre merci